vendredi 17 mars 2017

[Chronique] Svart Crown - Abreaction

On récapitule la carrière de Svart Crown depuis 2008, Ages of Decay, c'était cool mais brouillon, Witnessing the Fall, c'était une bonne grosse baffe dans la gueule, puis Profane, c'était aussi une bonne grosse baffe dans la gueule, en même pas dix ans, le groupe de JB Le Bail est devenu l'un des plus beaux fleurons du Metal hexagonal, un groupe qui joue gros avec son quatrième album puisque cette fois-ci, Svart Crown joue dans la cour des grands depuis sa signature avec le tout puissant Century Media qui a flairé la bonne affaire, nouveau label, changement de stature, il va falloir assurer et ne pas se vautrer, ça tombe bien, JB Le Bail n'est pas du genre à se déballonner, mieux encore, plutôt que d'assurer, il va continuer à faire évoluer son bébé, Abreaction, ça ressemble à du Profane, mais ça va encore un peu plus loin.

Changement de label, mais aussi gros changement dans un line-up qui était plutôt stable depuis quelques années, Svart Crown a perdu son batteur et son second guitariste, Ranko et Clément Flandrois sont remplacés par des mercenaires bien connus du Metal hexagonal, un duo de Kevin, Paradis et Verlay, ce qui ne change absolument rien à la qualité du songwritting dans le cas de Svart Crown, JB Le Bail chapeautant tout ça depuis le début.

Profane avait poussé le Black/Death de Svart Crown vers des horizons plus progressifs et atmosphériques, ce qui marquait une certaine rupture avec un Witnessing the Fall bien plus porté sur l'agression, partant de là, on ne sera pas surpris à l'écoute d'Abreaction que le groupe ait décidé d'aller encore plus loin dans la même direction, Svart Crown est toujours fondamentalement un groupe de Black/Death, mais qui a envie d'être un peu plus que ça, et même si Abreaction demeure assez violent, cette violence sera plus serpentante, avec un Svart Crown qui utilisera davantage de mid-tempo et d'ambiances glauques.

Bien sûr, les influences seront toujours aussi marquées, il y avait quelques traces de Gojira dans Profane, elles seront peut-être plus notable ici, de la même manière, on naviguera toujours dans des structures et des atmosphères se rapprochant de Deathspell Omega ou de Mitochondrion, avec cette fois-ci une propension plus marquée vers le Death Metal d'un Nile (Transsubstantiation), il faut dire que le côté "ethnique" de certaines orchestrations ne sera pas étranger à cette sensation, car même si Abreaction n'est pas à proprement parler un concept album, il est baigné par un fil conducteur à base de Voodoo et autres rituels exotiques, qui vont donner à l'album une tonalité plutôt singulière.

Signe de cette nouvelle approche, Golden Sacrament sera une sorte de longue introduction en forme de build-up, très lent, très lourd, teinté d'une excellente atmosphère, le growl de Le Bail va se montrer particulièrement flippant, de même que la dimension tribale des percussions utilisées, et dans l'ensemble, ce premier morceau introductif va servir de bonne rampe de lancement à un Carcosa bien plus speedé et ravageur, où l'on retrouve en quelque sorte ce Svart Crown en mode version Death Metal de Deathspell Omega, qui est un peu la marque de fabrique du groupe, le morceau est dense, toujours très sinueux avec ces dissonances qui mettent mal à l'aise, et petite nouveauté, des chant tribaux liturgiques sur une deuxième partie plus lente et lourde qui ne vous prépare pas du tout à la dernière accélération qui vous arrachera la colonne vertébrale.

La plupart des morceaux sera marquée par cette ambivalence, et c'est la dimension mid-tempo chargée d'atmosphères qui se taillera la part du lion ici, même si cela n'empêchera pas Svart Crown de balancer de la grosse tartine de poutre dans la gueule avec des brûlots comme un Upon This Intimate Madness survitaminé et qui évoluera vers du Doom tribal, ou encore un Orgasmic Spiritual Ecstasy qui trace sa route à coups de machette dans la face où se développe malgré tout un groove titanesque et une ambiance qui provoque un délicieux sentiment de malaise, avec une dimension ritualiste et tribale qui fait son effet, se rapprochant de Gojira sur Khimba Rites.

C'est sur ce dernier point que va appuyer Svart Crown, qui reste toujours ancré dans un Death/Black sinueux et dissonant, souvent violent et prompt à la folie, mais qui va constamment digresser vers de l’atmosphérique discordant, on savait Svart Crown capable de jouer extrêmement rapidement, le groupe nous prouve ici qu'il est également capable de ralentir les tempos et de faire autre chose sans nécessairement retirer quoi que ce soit à la sauvagerie d'ensemble, The Pact: To the Devil His Due est par exemple quasiment un titre de Doom où la violence jaillira de façon plutôt subtile, Abreaction est davantage un album de flux, ce disque à un flot particulier, une atmosphère, où il est très difficile de prendre un morceau en particulier vu qu'il sont tous très imbriqués les uns dans les autres, Abreaction fonctionne comme un organisme unique, comme un tout, même les deux petits instrumentaux Tentacion et Lwas ont leur importance en s'intégrant dans un ensemble plus grand qu'eux.

Evidemment, du fait de cette approche et de son orientation tribale ritualiste, ce nouveau Svart Crown est un peu moins immédiat qu'avant, il reste efficace, mais d'une manière différente, ce qui n'empêche pas malheureusement quelques longueurs qui vont apparaître par moment, Abreaction souffre parfois de sa dimension atmosphérique, certains morceaux sont un peu surchargés et on aurait aimé que les français passent un peu moins de temps dans leurs rituels voodoo et un peu plus à défourailler, la musique de Svart Crown vagabonde un peu trop ici, malgré tout, l'album demeure particulièrement efficace dans son genre, car même si on doit patienter un peu plus, dès que le groupe lâche les chevaux et envoie la sauce, c'est quand même foutrement jouissif.

En conclusion, Abreaction est une suite très logique à Profane, une évolution finalement très naturelle quand on regarde le cheminement du groupe depuis le début, Svart Crown ayant tendance à raffiner de plus en plus sa musique, à la texturer davantage, et à explorer de nouveaux horizons pour lui.
Abreaction est moins immédiat, moins sauvage, mais gagne en richesse sonore, et aussi paradoxalement en impact, car en jouant sur les rythmes et les atmosphères, Svart Crown parvient à augmenter la force de frappe de ses accélérations et soubresauts brutaux et dissonants, la musique des français est plus vicieuse que jamais, toujours aussi sinueuse, brutale et viscérale, où les mélodies colériques côtoient désormais des ambiances tribales lugubres et malsaines

Vaudou, dur, et dingue
Track Listing:
1. Golden Sacrament  05:23
2. Carcosa  03:44
3. The Pact: To the Devil His Due  07:21
4. Upon This Intimate Madness  04:38
5. Khimba Rites  05:23
6. Tentacion  03:34
7. Orgasmic Spiritual Ecstasy  04:56
8. Transsubstantiation  06:40
9. Emphatic Illusion  05:43
10. Lwas  01:10
11. Nganda  06:08