vendredi 12 janvier 2018

[Chronique] Sinistro - Sangue Cássia

Sinistro fait partie de ces groupes difficilement classables, qui semble évoluer dans tellement de références et d'influences qu'il devient très compliqué de lui coller une étiquette, les deux premiers albums des portugais ont constamment navigué entre le Sludge, le post-Metal, le Doom, l'atmosphérique, et l'on pourrait presque ajouter de l'avant-garde, l'art de brouiller les cartes, mais avec une constante cependant, cette volonté de constamment raffiner sa musique au fur et à mesure des albums, ce qui est une trajectoire logique pour pas mal de groupes de cette mouvance, qui consiste à délaisser les velléités abrasives pour s'étendre du côte du post Rock, stratégie désormais classique mais toujours efficace, et pour son troisième album, cette évolution continuera dans ce sens.

Partant de là, c'est tout naturellement que certaines influences comme celles de Tiamat ou Paradise Lost seront légèrement en retrait dans Sangue Cássia, qui perdra quelque peu de son caractère abrasif (mais tout en restant très heavy dans son genre) au profit d'un extrême raffinement sonore et d'une épuration des lignes, Sinistro va continuer de s'engager dans un Doom atmosphérique particulièrement sensuel et diablement cinématique, qui va davantage jouer sur les émotions et le développement de paysages sonores foisonnants, de détails et de textures, ce n'est probablement pas innocent de débuter l'album par un pavé de plus de onze minutes comme Cosmos Controle qui est une véritable déclaration d'intention de la part des portugais, un morceau raffiné de part ses nombreuses nappes de claviers, où les riffs massifs rappelleront le Doom le plus ténébreux pratiqué par le groupe au début, un long morceau serpentant, avec sa structure adepte du mouvement, sublimé par la voix envoûtante de Patrícia Andrade, qui donne à la musique de Sinistro son petit côté érotique à la sensualité à fleur de peau.
C'est quelque chose qu'il faut noter dans la trajectoire de Sinistro, c'est qu'à chaque album Patrícia Andrade semble prendre plus de place dans la musique du groupe, à tel point que sur Sangue Cássia la musique est devenue un véhicule à sa voix, s'articulant entièrement autour des inflexions de sa vocaliste, un morceau comme Lotus développera un esprit très Doom où c'est Andrade qui dicte le tempo, apportant une certaine luminosité contrastant avec l'inclinaison misérable et ténébreuse de la musique, notamment ces claviers funèbres et ses mélodies lancinantes et minimalistes, Abismo reprendra globalement la même structure mais en poussant davantage les extrêmes, pour ce qui sera le morceau le plus Heavy du disque mais aussi l'un des plus délicat, Sinistro se montrant maître dans cet exercice d'équilibriste en clair-obscur.
On sent avec Sangue Cássia un groupe bien plus confiant en ses capacités, ce qu'il fait d'ailleurs ici, il le faisait déjà avec Semente, son album précédent, la différence est que désormais, le groupe fait tout en mieux, avec un niveau de raffinement supplémentaire, parvenant à trouver ce point d'équilibre si précieux entre la mélancolie sensuelle et le Doom navigant dans l'obscurité, Sinistro démontre de l'assurance et n'a pas peur d'explorer certaines influences, Pétalas sera par exemple particulièrement proche d'un Tristania pour un morceau finement mélancolique, suave et langoureux, avec une fois de plus des claviers qui confère à Sinistro ce petit côté cinématographique, ajoutant une réelle dramaturgie à la musique du groupe, ce dernier explorant même davantage du côté du rock avec des morceaux comme Nuvem et le très atmosphérique Gardénia, le premier incluant d'ailleurs quelques éléments trip-hop très marqués, l'album se concluant sur un Cravo Carne mélodramatique à souhait que l'on pourrait rapprocher d'un SubRosa, pour un titre qui prend aux tripes, à la fois superbement classieux et implacablement Heavy, qui représente assez bien l'album, dense, toujours en mouvement et impeccablement arrangé.

Sangue Cássia est un album aux lignes particulièrement épurées, pour un ensemble plus fluide et plus maîtrisé qu'il y a deux ans, un album également plus équilibré entre sa facette Doom ténébreuse et sa propension à naviguer dans le post-Metal et l'atmosphérique, Sinistro s'impose ici de plus en plus comme une force qui compte dans le genre, en développant au sein des ses morceaux une narration toute particulière et un sens de la dramaturgie qui confère à chacun des titres sa propre personnalité, entre un chant à la sensualité à fleur de peau et des claviers qui apportent une réelle dimension cinématographique, se dégage un Doom atmosphérique de très haute qualité qui conserve son caractère Heavy malgré sa propension au raffinement et quelques inclinaisons post-Rock, Sangue Cássia est donc un très bon disque de Doom suave, mélancolique et sensuel, aux arrangements d'une élégance rare, marquant un nouveau pas en avant de la part du projet Sinistro, désormais une valeur sure du genre en tout cas.