samedi 1 avril 2017

[Chronique] Dodecahedron - Kwintessens

Sortant de nulle part avec son premier album éponyme sous le bras en 2012, Dodecahedron surpris tout son monde et botté un très grand nombre de culs avec son Black Metal bizarre qui appartient à cette niche de Metal abstrait très à la mode en ce moment, sorte de réponse Black Metal à Gorguts ou Portal, sans oublier les nombreuses références au maître Deathspell Omega voir le plus fou, et il faut bien l'avouer plus visionnaire que nos hollandais, Jute Gyte.
Malgré ce name-dropping massif, Dodecahedron n'est pas forcément un clone, le groupe étant parvenu à se forger un son propre, singulier et reconnaissable à défaut d'être franchement unique, et même si les hollandais sont assez proche stylistiquement d'un Krallice, ce n'est jamais vraiment Krallice, Dodecahedron fait du Dodecahedron avec sa vision du Tech Black abstrait, sa propre philosophie, qui semble s'affirmer encore davantage avec cet album numéro deux qui a beaucoup de temps à arriver.

Cinq ans pour nous pondre ce Kwintessens, qui est tout à fait le genre de suite satisfaisante qui fera plaisir aux fans du premier album tout en proposant de nombreuses évolutions et d'éléments nouveaux, on sera également rassurer que l'album contient de vrais riffs, ouais, des trucs structurés, car c'est souvent le problème à ces groupes avant-gardistes chaotique à base dissonante, c'est qu'ils ont cette facheuse tendance à tellement destructurer leur musique qu'il arrive un moment où ce ne ressemble plus à rien si ce n'est un magma sonore informe, Dodecahedron évite cet écueil avec une orientation assez paradoxale, Kwintessens sera en même temps beaucoup plus sombre et lumineux, ça ne veut absolument rien dire mais c'est le sentiment que j'ai après mes très nombreuses écoutes jusqu'à l'obsession.

Bien sûr, tout ça reste très ésotérique, Dodecahedron mélange en effet dans un joyeux bordel des concepts mathématiques et philosophiques abscons que surement trois personnes dans le monde sont en mesure de comprendre pleinement, et comme j'ai eu 2/20 au bac en maths, ce n'est surement pas moi qui vais vous expliquer de quoi il retourne ou de quoi traitent les paroles, en dehors de ça, on est parti avec Kwintessens pour une grosse quarantaine de minutes de Tech-Black prog abstrait dérangé oppressant dissonant, un second album qui dure dix minutes de moins que le premier, mais qui va s'avérer bien plus gargantuesque, avec un surcroît de Groove et surement une ligne directrice plus proche du Tech-Death avec un certain sens de la concision et une cohérence plus importante.

Le premier mouvement de l'album débute par le bien nommé Prelude qui est comme comme vous l'aurez finement deviné la petite introduction qui met dans l'ambiance avec un build-up étrange et noisy qui dégage un certain sentiment militariste qui se rapprocherait d'un Laibach, Prelude débouche sur un Tetrahedron - The Culling of the Unwanted from the Earth en tout point conforme à ce qu'on attendait de Dodecahedron, construisant ici un vertigineux enchevêtrement et riffs et de sonorités maladives, au départ très direct et assez proche du Drone Death atonal, le morceau naviguera aux confins d'une folie bien plus BlackMetalisée en bifurquant vers une sorte d'industriel noise tribal, autant le dire tout de suite, le malaise est délicieusement total et ce n'est que le début d'une effarante descente dans un cauchemar labyrinthique, car le Hexahedron - Tilling the Human Soil qui prendra la suite immédiatement sera encore plus schizophrénique en multipliant les changements de structures, entre les déferlements de violence à tremolo en passant par un riffing post-Metal très dissonant subtilement mêlés à des atmosphères anxiogènes et glaciales dégageant un groove douloureux, où encore une fois on retrouve cette légère touche industrielle.

Après la petite Interlude très orienté post-Metal teinté d'Indus et d'électronique, c'est le début du second mouvement avec Octahedron - Harbinger, qui à défaut d'avoir une structure particulièrement intéressante se fera davantage remarqué par l'utilisation massive de motifs atmosphériques sur l'excellent passage central qui joue son rôle d'aération et de petite astuce pour maximiser le retour du Black foudroyant pour la fin du morceau, structurellement classique et efficace, et l'on remarque assez vite que c'est plutôt du côté d'un Blut Aus Nord période The Work Which Transforms God qu'il faut chercher les références industrielles de Dodecahedron, cette dimension industrielle cauchemardesque sera bien plus poussée avec Dodecahedron - An Ill-Defined Air of Otherness, morceau à l'étrangeté raffinée, qui naît dans la lumière pour progressivement s'aventurer dans l'obscurité, ce morceau est une sorte de titre de post-Rock fortement blackisé et surtout très fortement cinglé, Dodecahedron challenge ses propres paradigmes sonores et explorent de nouveaux motifs même le chant est différent, plus possédé, plus lointain, en adéquation avec des textures moins solides et davantage mouvantes.

On passera rapidement sur un Finale principalement constitué de bidouillages atmosphériques électroniques et de susurrement/hurlements bizarres qui ne sert qu'à faire la transition avec le véritable final Icosahedron - The Death of Your Body qui mise tout sur les ambiances apocalyptiques et une espèce de spoken word Black Metal destructuré et dissonant, la violence n'est jamais véritablement présente, elle est suggérée, en arrière-plan, pour un morceau douloureusement mélodique et fortement sulfureux, point final imprévu d'un album pour le moins perturbant de la part d'un groupe qui a choisi de ne pas se reposer sur ses lauriers et de se remettre en question, ce qui est plutôt couillu pour ce qui n'est qu'un second album, et ce qui en fait également une réussite, car bien que très différent, Kwintessens est un véritable prolongement du premier album, une évolution sans renier qui que ce soit aux acquis de Dodecahedron.

Bien sûr, avec une musique aussi complexe et également aussi philosophique, en maniant autant de concepts et de structures, il est clair que la pilule est parfois dure à avaler, Kwintessens n'échappe pas à quelque répétition et quelques longueurs, surtout vers la fin, où les parties atmosphériques ont légèrement tendance à traîner en longueur, Kwintessens est également épuisant, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise chose, on écoute pas ce genre de disque, très expérimental et schizophrénique, en espérant que ce soit confortable, et c'est ce que fait Dodecahedron, entrer en conflit avec vos perceptions et vos convictions, multipliant les textures, les motifs, les riffs, le songwritting étant toujours en mouvement et les structures jamais véritablement rigides, Dodecahedron a ajouté de nombreuses nouvelles cordes à son arc, du Groove, de l'obscurité sauvage, de l'atmosphérique industriel, autant dire que le niveau de folie atteint est particulièrement élevé.

Kwintessens est un pur album de niche, ce que fait Dodecahedron est tellement référencé que leur musique en devient unique, à tel point qu'elle en devient indéfinissable, après tout, comment parvenir à qualifier un Black Metal qui mélange, avec brio, autant de genres différents, à la limite on pourrait presque définir ça comme un Thantifaxath qui aurait décidé de se lancer dans l'atmosphérique, ça reste brutal, malfaisant, rugueux, mais dans une optique post-Rock, dans tous les cas, Dodecahedron est une bestiole complexe, presque impossible à comprendre, Kwintessens est le résultat brillant et délicieusement imparfait de longues années d'expérimentations, Dodecahedron trace sa route et se crée sa propre niche dans le Tech Black progressif atmosphérique expérimental.