mardi 24 juin 2014

[Chronique] Serdce - Timelessness

Serdce est l'un des meilleurs des groupes de Prog Death depuis dix ans, et personne ne le connait, c'est con quand même.
Il faut dire aussi que les albums de ce groupe n'ont jamais véritablement joui d'une distribution correcte dans nos contrées, ajoutons à cela qu'ils viennent de Biélorussie et qu'il ne sortent des albums que tous les cinq, et vous obtenez la recette du groupe qui ne sera jamais reconnu à sa juste valeur.
Serdce est donc affilié à la scène Prog Death, et nous a déjà livré quelques monuments dans le genre, passés inaperçus du grand public, mais je ne peux que vous conseiller de tenter de vous procurer Cyberly ou The Alchemy of Harmony si vous arrivez à mettre la main dessus... Ou pas en fait, car pour leur quatrième album, les biélorusses nous proposent avec Timelessness un album qui n'a plus grand chose à voir avec leurs trois premiers albums, à tel point qu'on ne peut plus vraiment parler de Death Metal ici...

Progressive Tech Art Fusion Death Metal
C'est comme ça que les gars décrivent leur musique, ouais, déjà, c'est un peu moins réducteur que le simple terme Prog Death, mais c'est pas encore tout à fait vrai, ça l'était peut-être encore jusqu'en 2009, mais en 2014, c'est bien la composante Death qui a été virée de l'équation, mais pas entièrement, quelques vestiges du passé demeurent encore bien présent dans la musique du combo biélorusse, et de ce fait, on pourrait classer Serdce dans la catégorie Prog avec des couilles.
L'évolution de Serdce vers une entité de plus en plus progressive au détriment de son Death originel n'est en fin de compte pas aussi illogique que ça, et cette mutation semble toucher la plupart des groupe évoluant dans un registre Death/Prog/Jazzy, Cynic en tête, il arrive toujours un moment où les groupes se sentent un peu à l'étroit et décident d'abandonner les codes du genre et d'explorer d'autres horizons, seulement voilà, Serdce n'est pas Cynic, et semble surtout n'être pas encore décidé à abandonner complètement ses sonorités Death, elles sont moins présentes, bien sûr, moins palpables, mais Timelessness va se charger de nous proposer le meilleur des deux mondes en quelque sorte, une véritable fusion au sein d'un univers bien plus étendu que par le passé, où les influences du groupe sont en expansion, avec un Serdce en pleine quête métaphysique.
C'est bien sûr ce qui choque à la première écoute de Timelessness, son côté lumineux, avec un son qui est devenu très pur, qui tranche véritablement avec les aspirations plus Death du passé, ici, c'est véritablement le Progressif qui va être mis à l'honneur, avec une violence qui ne sera que sous-entendue, maîtrisée, et surtout, des putains de structures jazzy complètement folles!
Bah ouais, Serdce n'allait pas non plus tout changer d'un coup, après tout, Serdce signifie Cœur en biélorusse, et c'est justement le cœur même de la musique qui va être conservé, structures au chaos organisé qui vont constamment s'entrechoquer, intersections multiples, changements de rythmes improbables, et cette expansion du son du groupe, ses multiples textures et l'art du mouvement vont faire de Timelessness un album très éclectique, mais malgré tout cohérent, fonctionnant sur des dynamiques qui lui sont propres, le genre d'album pas franchement évident à écouter, qui demande de très nombreuses écoutes, une concentration constante, afin d'en saisir toutes les subtilités, surtout que les biélorusses ne sont pas de gros fans de refrains catchy et accueillants pour l'auditeur, ouais, va valoir faire des efforts et se battre pour tout comprendre.
La grande force de Serdce est d'être constamment en mouvement, tout en conservant sa fluidité, ceci malgré les très très nombreuses cassures et changements de direction, les morceaux sont généralement très longs, l'album fait plus d'une heure, mais Serdce parvient malgré toute la complexité de ses structures à rendre le voyage relativement confortable, ce qui n'était pas franchement évident, surtout à l'écoute du premier vrai titre, Samadhi, qui attaque d'emblée avec des bizarreries que l'on trouve habituellement dans l'avant-garde, Serdce nous emmène dans une sorte de fusion Prog/Death/Jazzy où le growl alterne avec un chant clair aérien, plutôt heavy et menaçant, avant de partir dans un long passage central Tech progressif, ce premier morceau est un peu fou, schizophrène, et la conclusion au piano classique va servir d'introduction à un Omens tout aussi cinglé et multidirectionnel, secoué d'improbables et impactants soubresauts Death, on traversera une fois encore un tunnel de grosse masturbation mentale progressive, suivie d'un break où l'on retrouve le piano, avec une basse particulièrement gouleyante, cette basse fretless, à la Cynic, va se balader en totale liberté sur tous les titres de l'album, et va surtout apporter un mouvement supplémentaire plutôt que de se cantonner à un rôle de base rythmique, cette basse va apporter une dimension nouvelle à la musique de Serdce, surtout sur les passages les plus calmes et progressifs, une utilisation très intéressante et une véritable plus-value pour l'album.
Avec Last Faith, les biélorusses vont explorer une facette un peu plus calme de leur musique, plus atmosphérique, mais toute aussi sinueuse, et traversés de cavalcades Heavy prog à la Dream Theater, ce qui sera également le cas sur un Loss of Feelings or Feeling of Loss au piano omniprésent, de même que les cordes, avec un Serdce qui montre un penchant aérien et émotionnel, qui sera immédiatement contrebalancé par The Sixth Sense, qui nous accueille par un riff bien gras et sombre avec du growl, surement le titre le plus "dur" de la galette avec Quasar, ce sont les rares moments où Serdce renoue avec le Prog Death un peu à l'ancienne, plutôt abrasif et menaçant, et cerise sur le gâteau de Quasar, sa courte conclusion Newborn contient un délicieux saxophone qui rappellera un peu Ihsahn.
On aurait pu croire que l'inclinaison jazz/Prog plus prononcée allait faire disparaître les couilles de Serdce, mais bizarrement, il n'en est rien, car les biélorusses sont parvenus à conserver tout leur caractère explosif, mieux encore, à rendre les passages Death encore plus impactant, mais malgré la totale maîtrise du groupe, on peut parfois reprocher à Serdce d'en faire un peu trop, surtout dans les délires Tech/Jazz où l'on a tendance à se perdre dans des structures parfois trop sinueuses voir même complètement incompréhensibles, Serdce souffre un peu de cette surenchère technique et semble perdre parfois le fil de sa musique, de courts instants seulement, car le groupe retrouve assez vite son fil conducteur, mais ces petites sorties de routes contribuent également à rendre Timelessness particulièrement intrigant...

Pas besoin de tortiller du coup pour chier droit, Timelessness est un excellent disque de... euh... Metal Prog Jazzy Technique Avant-Garde, presque un album de fusion tant les biélorusses prennent un malin plaisir à multiplier les fausses pistes et les incartades dans un tas de genres différents.
Il devient de plus en plus difficile de considérer ça comme du Death, Serdce a semble-t-il choisi de partir vers autre chose, malgré tout, cette évolution se fait sans véritablement renier son identité ni ce qu'il était avant, mieux encore, Serdce dépasse ses propres limites, et nous propose un sacré voyage dans un univers bien plus étendu qu'auparavant, attention cependant à ne pas trop se perdre dans un monde désormais sans codes ni barrières, car Timelessness est parfois à la limite de l'incompréhensible, à la limite seulement, Serdce parvenant quand même à conserver une certaine cohérence pendant plus d'une heure de chaos organisé et de structures schizophrènes, un disque intense, étrange, difficile, mais incroyablement maîtrisé et riche, surement l'un des meilleurs albums de Prog de l'année...
(Et vous savez quoi? c'est sur Bandcamp, et c'est en téléchargement Name your Price, donc si vous êtes fauché, y'a moyen de le choper gratos: http://blood-music.bandcamp.com/album/timelessness)

Cœur en mutation