jeudi 20 mars 2014

[Chronique] Kypck - Имена на стене (Imena Na Stene)

La ville soviétique de Koursk, proche de la frontière ukrainienne, fut le théâtre à l'été 1943 de la plus grande bataille de chars de l'histoire, des milliers de tanks, des millions de soldats, des dizaines de milliers de pièces d'artillerie, et donc plus d'un million de morts au final, on ne faisait pas les choses à moitié à l'époque, et la bataille de Koursk remportée par les forces soviétiques scella le destin de l'Allemagne nazie, qui avait déjà du plomb dans l'aile après la défaite de Stalingrad.
Pourquoi je vous parle de Koursk, tout simplement car en russe, Koursk s'écrit KYPCK, soit le nom du groupe qui nous intéresse ici, un groupe qui, malgré le fait de s'exprimer en russe et d'utiliser une imagerie inspirée de l'union soviétique, est bel et bien finlandais, et vous vous doutez bien qu'avec un nom et une imagerie pareil, Kypck ne va pas faire dans le Happy Metal, c'est même tout le contraire, les finlandais font dans le Doom, heavy, menaçant, incroyablement lourd et mélancolique, une sorte de Doom soviétique en quelque sorte, qui sent bon les usines délabrées et la décrépitude d'un empire...

Après les deux très bons Черно (Cherno - 2008) et Ниже (Nizhe - 2011), on avait bien compris que les finlandais n'allaient pas vraiment modifier en profondeur leur formule pour leur troisième album, et de ce fait, Имена на стене apparaît plus comme le prolongement des albums précédents, sans pour autant pratiquer un immobilisme total, car plus que la musique en elle même, ce nouvel album apporte une coloration différente au Doom du combo, qui se veut un poil plus dur et Heavy que Ниже, presque plus sombre, avec des mélodies moins présentes, qui font de Имена на стене un disque incroyablement sombre et triste.
Ce qui est particulier avec la musique de Kypck, c'est que ce n'est pas vraiment votre Doom traditionnel, bien sûr, il est noir, mélancolique, mais les finlandais y apportent une lourdeur rythmique chargée d'un groove démentiel qui rappellera surement plus Meshuggah que Reverend Bizarre, une section rythmique lourde, viscérale et quasiment industrielle qui parvient à insuffler un certain dynamisme à des compositions très sombre et mélancolique, car Doom oblige, les références en ce qui concernent les mélodies se rapprocheront des vieux Katatonia et surtout du Paradise Lost préhistorique, et des tempo qui vont le la lenteur écrasante au mid-tempo heavy et appuyé, n'oublions pas non plus le chant en russe, qui apporte ce petit truc en plus, la mélancolie de l'âme russe, en quelque sorte.
C'est donc ce jeu entre les rythmiques lourdes et les mélodies mélancoliques, la faucille et le marteau si vous voulez, qui font de la musique de Kypck un ensemble très original qui ne ressemble à pas grand chose d'autre, un Doom de friche industrielle soviétique post-catastrophe de Tchernobyl, un peu glauque et flippant sur les bords, la bande son idéale d'une promenade dans une usine désaffectée une nuit pluvieuse de novembre, et cette dichotomie, on la retrouve dès le premier titre avec Prorok, et sa rythmique qui fonctionne comme un véritable piston qui vous fera inconsciemment secouer la tête, où le chant n'intervient que sur quelques passages bien plus mélodiques, une alternance que l'on retrouvera sur pas mal des titres de la galette, avec une balance qui penchera d'un côté ou de l'autre selon la volonté du groupe de proposer soit des titres plus heavy, comme un Как философия губит самоотверженных, бескорыстных бюрократов aux sonorités industrielles, très répétitif et lourd, où Kypck déploie une atmosphère suffocante et diablement malsaine, ou des morceaux plus mélancoliques, avec par exemple Belorusskii Sneg ou un Дети Биркенау, tout en émotion et en tristesse, après tout, il s'agit d'un titre qui se traduit par The Children of Birkenau, et la musique colle admirablement à son thème, avec cette composition très lente, contemplative, qui va évoluer vers la fin en une sorte de post-Rock mélancolique, l'album joue constamment sur cette alternance, où les rythmes martiaux évoquent la puissance de l'industrie lourde soviétique, mais Kypck ne se contente pas de ça, préférant s'en servir de base afin de nous proposer des titres ayant une profonde charge émotionnelle, tout en conservant un certain punch dans les riffs, agrémentés de judicieux leads mélodiques, Kypck nous fait passer par toutes les émotions, et en parallèle à ses rythmes déshumanisés, ce duo basse/batterie écrasant de lourdeur et ces riffs simples et répétitifs, le chant d'Erkki Seppänen agit comme une sorte de catalyseurs à émotions, se faisant souvent poétique' et poignant, une vraie valeur ajoutée, pour une composante essentielle du son du groupe, apportant un sentiment dramatique, très pessimiste, la voix de la souffrance des peuples pendant l'oppression stalinienne. (ne parlant ni le finnois ni le russe, je me vois mal juger de son accent)
On regrettera quand même que contrairement à l'album précédent, Kypck se fait ici moins évident, presque moins accrocheur, à part bien sûr le single particulièrement efficace Imya Na Stene, surtout vers la fin de l'album, ce qui fait que l'on a parfois du mal à être véritablement touché sur quelques titres, Etoi Pesni Net ou Vsegda Tak Bylo notamment, l'album est moins concerné par les refrains alors qu'il l'est beaucoup plus sur ses atmosphères, ce qui fait qu'on entre moins facilement dans l'univers du groupe, Imena Na Stene fonctionne plus comme un gros bloc qu'une collection de titres, ce qui peut le rendre parfois rébarbatif, surtout qu'il apparaît un peu moins varié qu'à l'accoutumée, dans tous les cas, l'album demande un peu plus de temps et d'effort avant de s'immerger pleinement dans le Doom du combo finlandais.

Toute la puissance de l'industrie lourde soviétique et la subtilité mélancolique des mélodies pessimistes, Kypck nous propose une fois de plus un voyage de l'autre côté du rideau de fer, avec un troisième album un peu moins évident à appréhender.
Malgré son orientation plus atmosphérique et sombre, donc une musique un peu moins accrocheuse et immédiate, Имена на стене reste quand même un excellent album de Doom, Heavy, écrasant, aux délicates mélodies, avec un chant en russe très poétique qui a pour charge de vous transporter dans l'univers du groupe, une oeuvre profonde, aux multiples textures et atmosphères qui en font un disque à la fois incroyablement lourd, contemplatif et aérien, profondément mélancolique et viscéral, un sentiment renforcé par l'imagerie et la puissance des thèmes abordés, qui ne peut pas laisser indifférent... 

Doomsday Soviet Metal
Track Listing:
1. Пророк
3. Воскресение
5. Грязный герой 
6. Как философия губит самоотверженных, бескорыстных бюрократов
7. Белорусский снег
8. Всегда так было
9. Этой песни нет
10. Трос, грузовик и темный балкон

Transcription:
1. Prorok (The Prophet)
2. Imya Na Stene (Name on the Wall)
3. Voskresenie (Resurrection)
4. Deti Birkenau (The Children of Birkenau)
5. Gryaznyi Geroi (The Filthy Hero)
6. Kak Filosofiya Gubit Samootverzhennykh, Beskorystnykh Byurokratov (As Philosophy Ruins Unprejudiced, Selfless Bureaucrats)
7. Belorusskii Sneg (Belarussian Snow)
8. Vsegda Tak Bylo (It's Always Been This Way)
9. Etoi Pesni Net (This Song Is Not)
10. Tros, Gruzovik i Temnyi Balkon (A Rope, a Truck and a Dark Balcony)