samedi 25 janvier 2014

[Chronique] Aenaon - Extance

Décidément, en ce début d'année, la Grèce est en train de devenir une place forte du Metal Expérimental d'Avant-Garde, car Mesdames et Messieurs, après Hail Spirit Noir et son excellent Oi Magoi, et en attendant d'avoir des nouvelles de Transcending Bizarre?, voici un autre fleuron hellénique du Metal en mode zinzin de l'espace, Aenaon, qui nous revient avec son second album, Extance.
Cendres et Sang m'avait plutôt séduit en 2011, un disque que j'avais trouvé à l'époque particulièrement prometteur mais peut-être un peu trop confus et délirant, avec un côté raw qui le rendait un peu trop brut de décoffrage, quoiqu'il en soit, mes attentes étaient très élevées pour ce second album, et vous le savez bien, c'est généralement le meilleur moyen d'être déçu, tant il est dangereux d'en attendre trop d'un album, Extance va-t-il réussir l'exploit de me satisfaire, voyons cela...

Cendres et Sang avait au moins permis de nous présenter la vision très particulière qu'à Aenaon du Black dit Avant-Gardiste, car alors que nombreux sont les groupes qui utilisent le Black comme une base permettant d'aller plus loin et d'y incorporer d'autres éléments, à tel point qu'ils sortent complètement du cadre du Black Metal, dont il ne reste au final que de vagues réminiscences (Ce qui n'est pas forcement une mauvaise chose, Hail Spirit Noir fait ça très bien), Aenaon reste fondamentalement ancré dans l'art noir, dont il conserve la violence et le caractère abrasif, ceci n'a pas changé depuis le premier album, et c'est tant mieux, car à défaut d'une révolution, Extance est plus une évolution en forme de prolongement de Cendres et Sang.
Je sais bien que l'expression est galvaudée, mais pour le coup, Extance est véritablement un album plus mature que son prédécesseur, un disque où tous les éléments déjà présents sur Cendres et Sang s'imbriqueraient mieux et formeraient un ensemble bien plus lisible et fluide, avec des compositions toujours aussi dingues, surprenantes, mais bien mieux maîtrisées.
Du fait de son orientation Black Metal, c'est du côté de la Scandinavie qu'il faut chercher les références, car Aenaon tire son originalité d'un subtil mélange entre le Black mélodique à la Naglfar et la scène Avant-gardiste progressive norvégienne, In the Woods bien sûr (C'est marrant mais je cite toujours ce groupe quand je parle d'Avant-Garde, il faut dire aussi que le génial Omnio est pour moi une sorte de maître étalon du genre), mais aussi Arcturus, Borknagar, Code, et bien évidemment In Vain, qui est surement le groupe dont Aenaon se rapproche le plus, et Extance, c'est un peu la rencontre entre le Death/Black progressif et les délires Avant-Garde, avec ses structures jazzy, les sonorités psychédéliques typées seventies, et tout un tas de wild cards délirantes et surprenantes.
L'évolution est peut-être minime, car ce sont plus des ajustements dans la formule qui ont été opérés, mais ceux-ci sont suffisant pour propulser Aenaon dans une autre dimension, avec un Extance qui gagne en profondeur, et des atmosphères bien plus travaillées que par le passé, la musique des grecs est bien évidemment complexe, souvent bizarre, mais ne part jamais dans tous les sens, les compositions demeurent toujours cohérentes peu importe le niveau de bizarrerie atteint, comme si le groupe avait véritablement gagné en confiance et en maturité.
Le son est dense, mais très clair, avec une production un peu Raw et remplie d'aspérités, la basse sensuelle pleinement audible, le chant d'Astrous est principalement Black et vindicatif, le chant clair n'étant utilisé qu'avec parcimonie pour en maximiser l'impact, et, orientation Black Metal oblige, l'ensemble repose vraiment sur les riffs de la paire Anax/Achilleas, qui permettent à Aenaon de parvenir à un équilibre entre son Black mélodique agressif et les éléments expérimentaux, un équilibre qui sera constant sur toute la durée de l'album, ce qui n'est pas un mince exploit, car c'est long, plus d'une heure, chaque titre étant une chevauchée dans un univers étrange, mélancolique, malsain, sans que l'on voit le temps passer, la dimension progressive du groupe lui permettant de tenir la longueur, de changer subitement de direction sans perdre en cohérence, d'apporter du mouvement et des atmosphères différentes, tout en conservant sa propre personnalité.
Comme si le groupe souhaitait mettre l'auditeur dans une situation confortable avant de la challenger avec des titres bien plus expérimentaux, la première partie de l'album est plutôt classique et rassurante, ce n'est pas souvent que je dis ça, mais l'intro The First Art est géniale, démarrant par du piano classique avant que les riffs mélodiques ne prennent le relais, une mise en bouche tout en puissance et en émotion qui permet de lancer un Deathtrip Chronicle abrasif, une violence à la fois mélodique et progressive, le chant clair intervient comme un chœur fantomatique, les mélodies hantées et distordues distillent une ambiance particulièrement mélancolique, avec des sonorités 70's discrètes et un court break spatial avec du saxophone, il est d'ailleurs à noter que souvent, les solos de guitares seront remplacés par de délicieux solos de saxophones, un Deathtrip Chronicle qui rappelle In Vain, ce qui sera récurrent sur cette première partie, Grau Diva est tout en muscle, proche d'un Satyricon pour ses riffs ultra heavy et répétitifs, un Black appuyé, dur, dans un esprit Black n' Roll, sublimé par des claviers aériens, le chant clair donne un côté catchy au refrain, avec un petit passage langoureux et sexy avec des râles de plaisir féminin, on retrouvera cette dimension accrocheuse sur le refrain d'A Treatrise on the Madness of God, que ne renierait pas un Vulture Industries, avec cerise sur le gâteau un petit solo de saxophone, une première partie orientée Black mélodique progressive qui s'achève par un Der Mude Tod, où l'on retrouve justement Sindre Nedland d'In Vain au chant, une première moitié très brutale et violente, contrebalancée par un chant clair de toute beauté, avant que la bizarrerie ne prenne le relais vers la moitié du morceau, quand rugit le saxophone, les passages expérimentaux vont alterner avec des éruptions de violence, un titre incroyablement riche et varié, très dense aussi, car il ne dure que 4'30, tout en restant digeste.
Après la première interlude Pornocrates, on entre véritablement dans la partie la plus étrange et Avant-Gardiste/expérimentale de l'album, où les compositions vont s'étirer et transporter l'auditeur dans une autre dimension, car même si Closer to Scaffold reste ancré dans un Black plutôt heavy, les atmosphères vont se faire plus oppressantes et psychédéliques, avec l'utilisations de violons discordants et de quelques notes de piano, pour une ambiance particulièrement glauque, et ce n'est que le début, car avec Land of no Water, le niveau de bizarrerie va encore augmenter, car le Black Metal va se retrouver confronter à une bonne dose de Bluegrass, pas mal d'éléments acoustiques, des claviers un peu cinglés, et surtout un putain de solo d'Harmonica, sur ce titre un peu taré, c'est le japonais Mirai Kawashima des zigotos de Sigh qui va venir poser ses vocalises de malade mental en direct de l'asile psychiatrique!
Seconde interlude au piano, dans un style sexy, introduisant de fort belle manière un Funeral Blues où le Black sera confronté à du Jazz/Lounge sensuel en diable, carrément barré, un titre offrant de longues plages ambiancées, secoué par des soubresauts Black brutaux, et cerise sur le gâteau, c'est la chanteuse des excellents Universe217 Tanya Leontiou qui vient livrer une excellente performance vocale, qui rappellera un peu Atrox ou Madder Mortem, un Funeral Blues tout en atmosphère, traversé de passages expérimentaux, complètement bluffant pour son côté Black lounge jazzy (Un peu à la Sigh), et si vous pensiez en avoir terminé, raté, comme titre final, Aenaon nous offre un très long Palindrome de plus de douze minutes au compteur, on retrouve de nouveau cette dualité entre le Black violent et les longues chevauchés atmosphériques, dans un style qui rappellera souvent Arcturus, puissant, aérien, le chant clair est excellemment utilisé, moins avant-Garde dans l'esprit, puisqu'un est plutôt dans un long titre de Black progressif qui joue sur les atmosphères et les changements de rythmes, avec un chant toujours aussi versatile.

On ne va pas se mentir, Aenaon vient de délivrer la première grosse claque de ce début d'année, Extance va plus loin que Cendres et Sang, et lui ajoute une profondeur supplémentaire, chaque titre est un véritable bijou de composition, pour un groupe que l'on sent désormais plus confiant et plus mature que jamais.
On se retrouve avec un album mélangeant habillement le Black mélodique en forme de baffe dans la gueule et les expérimentations avant-gardistes admirablement maîtrisées, toutes les pièces du puzzle s'imbriquent à la perfection, et l'ensemble se révèle incroyablement cohérent du début à la fin malgré l'incorporation d'éléments hétéroclites.
Bien sûr, ce n'est pas vraiment un disque évident à écouter, n'espérez pas trop en percer tous les secrets après une seule écoute, Extance demande du temps et un peu de réflexion afin de se dévoiler totalement, Extance est un vrai trip expérimental qui reste malgré tout fermement ancré au Black Metal pur et dur, et la grande force d'Aenaon et de vous appâter avec son Black afin de vous emmener dans son trip psychédélique, ce qui rend l'album bizarrement catchy malgré ses délires et la complexité de ses compositions, j'avoue avoir un véritable coup de cœur pour cet album, de ce fait, même si au départ je partais pour un très bon 4.5/5, fuck it, j'ai décidé de lui accorder la note maximale, vu que je suis devenu complètement addict au fil de mes écoutes, si vous aimez les groupes différents, allez vous faire voir chez les grecs, c'est du très très haut niveau...

Brillant!
Track Listing:
1. The First Art
2. Deathtrip Chronicle
4. A Treatise on the Madness of God
5. Der Mude Tod (Featuring Sindre Nedland)
6. Pornocrates
7. Closer to Scaffold
8. Land of no Water (Featuring Mirai Kawashima)
9. Algernon’s Decadence interlude au piano
10. Funeral Blues (Featuring Tanya Leontiou)
11. Palindrome