mercredi 27 novembre 2013

[Chronique] Code - Augur Nox

Code est le genre de groupe qui échappe à toute tentative de catégorisation, car depuis le début, les anglais ont toujours pris un malin plaisir à brouiller les cartes, et surtout repousser les frontières du Black Metal, dépasser les limites réductrices du genre, expérimenter, mélanger, et se retrouver au carrefour d'un nombre improbable d'influences.
Code est un groupe obscur, dont le line-up est chaotique, qui ne donne que très peu de concerts et qui aime bien prendre son temps, un groupe que l'on a tendance à oublier un peu pendant ses longues périodes d'hibernation, qui sort des ténèbres tous les quatre ans afin de montrer au monde le résultat de ses recherches.
Quatre années séparent donc ce troisième album, Augur Nox de son excellent prédécesseur, Resplendent Grotesque, et c'est une fois de plus avec un line-up tout neuf que les anglais ont décidé de rompre le silence, et comme à leur habitude, l'évolution est de mise, car ce n'est pas le genre de la maison de faire du surplace et de sortir deux fois le même disque...

Définir la musique de Code est un exercice périlleux, presque impossible tant les influences sont multiples, Code fait du Black, mais pas seulement, et plus vraiment en fait, mais encore suffisamment pour être classer dans le genre par facilité, une démarche et des sonorités qui se rapprochent de la scène Avant-gardiste norvégienne, Arcturus, Ved Buens Ende ou encore Vulture Industries, pour le côté théâtral et stellaire de leur musique, mais ce n'est pas encore tout à fait ça, Expérimental? un peu aussi, mais pas autant que ne peut l'être un Oranssi Pazuzu, Progressif, surement, car Code, tout du moins avec cet album, se rapproche des maîtres du genre, Enslaved, Borknagar, avec un sens de la mélodie sombre typique d'un Opeth, un black qui se fait également ici plus atmosphérique que jamais, une musique de grands espaces, éthérée, sans pour autant renier le caractère abrasif de leur racines Black, et y'a du Rock aussi, et en fin de compte, Code est beaucoup plus proche d'un Tool que de la scène Black, surtout sur cet album, bref, c'est un beau bordel et pour simplifier on va dire que c'est du Prog Black (même si c'est pas tout à fait ça), ou ça:
Code = Arcturus + Vulture Industries + Opeth + Borknagar + Tool + Enslaved

Une fois encore, Code se présente avec un line-up tout neuf par rapport au dernier albums, Aort, le guitariste et ultime membre fondateur, un rescapé de l'album précédent, Andras, qui n'était crédité que sur un seul titre de Resplendent Grotesque, une section rythmique toute neuve composée de Lordt à la batterie et du bassiste Syhr, et surtout un tremblement terre chez Code, puisque le chanteur Kvohst s'est barré, remplacé par un certain Wacian (qui comme le bassiste vient du groupe Alternative Carpark, qui n'est absolument pas un groupe de Black), et pour le coup, c'est plutôt une bonne pioche, car les anglais sont tombés sur un excellent chanteur, certes le chant Black est limité, correct sans plus, mais le chant clair est réellement impressionnant, mélangeant le côté théâtral d'un Garm et les inclinaisons lyriques d'un Vortex, Wacian fait preuve d'une réelle versatilité.
Un choix qui n'est finalement pas si innocent que ça, car même si l'alternance entre les deux types de chants est toujours de mise, c'est le chant clair qui prédomine, et de la même manière, Augur Nox s'éloigne encore davantage du Black Metal, l'album sonne de manière moderne, plus clean que l'album précédent, évidemment moins abrasif, moins raw dans son approche, et donc avec une facette atmosphérique plus poussée, les riffs se rapprochent d'un Opeth et d'un Enslaved, souvent hypnotiques, envoûtants, la nouvelle section rythmique joue tout en finesse, mais conserve malgré tout une intensité propre au Black quand il s'agit d'appuyer certains passages, Augur Nox sonne donc plus progressif et atmosphérique que par le passé, mais ceci sans oublier le dynamisme inhérent au son de base de Code, c'est peut-être dû à l'excellente production de l'album, mais chaque instrument, de même que la voix, semble être sur un pied d'égalité, et Code évolue ici comme un seul corps en mouvement, où tous les instruments seraient dépendants les uns des autres pour exister, ce qui confère à l'album une réelle cohésion, et qui lui évite surement de partir dans des délires abscons, le son est donc évidemment très riche, très dense, peut-être plus difficile d'accès que ne l'était le disque précédent, plus atmosphérique, moins menaçant et agressif, mais avec ce supplément d'énergie et de dynamisme qui permet à Code de rester globalement accrocheur, enfin bon, autant que peut-être accrocheur ce genre d'album.

Dès le premier titre, l'évolution de nos troubadours anglais est palpable, ça sonne plus clean, plus propre, mais Black Rumination démarre quand même sur une note très Black Metal, abrasif, un poil malsaine, et très vite, c'est une vibe Arcturus stellaire et aérienne qui va vite prendre le dessus, avec un Wacian qui nous livre une interprétation à mi-chemin entre le Garm de The Sham Mirrors et certaines intonations à la Bjørnar Nilsen de Vulture Industries, le titre dispose d'une bonne dynamique, alternant entre les passages atmosphériques et une certaine violence inhérente au Black, toute contenue cependant, et ce sont bien les hurlements qui rappellent un peu l'art noir cette fois-ci, ce cocktail sera une fois de plus à l'honneur sur un Becoming Host de haute volée que n'aurait pas renié un groupe avant-gardiste norvégien, le chant clair est une nouvelle fois excellent, dommage que le chant black manque de profondeur et de puissance, cela aurait surement ajouté une profondeur supplémentaire à la musique du combo, on sent que ce chant plus agressif est un peu forcé et n'est pas la spécialité du bonhomme, préférant nous servir un chant très théâtralisé, comme par exemple un Glimlight Tourist particulièrement mélodramatique, très sombre, un chant clair vaudevillesque qui fonctionne très bien sur la plupart des titres et qui permet à Code de de faire passer de réelles émotions, d'ailleurs à la fin de ce titre on remarquera une petite référence à Opeth pas désagréable, une influence suédoise plus mise en avant sur un très violent (pour l'album) Ecdysis avec sa mise en bouche typiquement black, très dynamique, qui partira dans des territoires progressifs à la Opeth ou Enslaved pour seulement revenir à une certaine violence sur le final, Garden Chancery proposera également ce type de mélange, en un peu plus direct cependant, une structure simple et diablement efficace, dès références à Opeth parfaitement maîtrisées, à l'exception d'un titre cependant, Harmonies in Cloud qui fait dans le post Rock atmosphérique, pas nécessairement une bonne idée mais le titre se fait un peu longuet et vraiment peu marquant.
Bien évidemment, inclinaison atmosphérique oblige, Code s'offre de très belles incartades qui privilégient les ambiances au détriment de son caractère menaçant originel, Trace of God notamment, à la fois Heavy et planant, secoué par de délicieux spasmes Black, de même que le brillant The Lazarus Cord, subtil mélange d'Enslaved et de Vulture Industries, où les anglais préfèrent laisser errer leur âme vagabonde dans les grands espaces, hypnotique, fascinant, mais à la violence toujours sous-jacente qui s'exprime en fonction de l'envie, une envoûtante chanson black atmosphérique progressive à forte connotation Rock, le titre final White Triptych à quant à lui une forte odeur de souffre malgré les passages atmo aériens, soutenus par des chœurs mystiques, le chant black y est d'ailleurs presque dominant, avec un chant clair qui transperce les ténèbres, une véritable intensité et un sentiment menaçant s'en dégage, un titre à rapprocher d'un The Shrike Screw plutôt surprenant, qui débute par une longue intro mystérieuse qui laissera place à un black atmosphérique, mais c'est surtout la fin qui est intéressante, car la tension va progressivement monter avec un chant clair une fois de plus soutenu par des chœurs pour aboutir à un passage saccadé ultra heavy à forte consonance Djent mixé avec du black, particulièrement bluffant, et c'est ce mélange de Rock atmosphérique et de Black abrasif qui donne toute sa saveur à Augur Nox, pour un groupe qui ne va jamais vraiment laisser retomber la pression malgré sa longueur, 54 minutes alors que le précédent n'atteignait même pas 35 minutes, Code a enrichi sa musique, a dilué sa violence et son caractère abrasif dans un grand bain de rock atmosphérique progressif qui lui permet de tenir sans peine sur la durée, la seule chose que l'on pourrait éventuellement lui reprocher, c'est de s'arrêter à un patchwork d'influences, de les assimiler, certes, car celles-ci sont pleinement intégrées dans le son unique du combo, mais de ne pas aller plus loin finalement que les chemins déjà empruntés par des Enslaved ou autres Opeth, sans doute manque-t-il encore à Code une dimension expérimentale supplémentaire qui lui permettrait de véritablement surprendre l'auditeur, d'aller plus loin et de tracer sa propre route, en s'affranchissant définitivement des codes des différents genres composant la musique de Code, une prochaine fois peut-être?

Malgré mes toutes petites réserves, on ne va pas tourner autour du pot, Augur Nox est véritablement un excellent disque de la part des anglais, c'est différent, certes, moins black dans l'esprit, plus travaillé et policé, mais ce n'est pas pour autant que l'intensité de Code a disparu en route, l'album est surement ce qu'ils ont fait de plus atmosphérique et de progressif, mais la violence est toujours là, prenant une autre forme, on sent que le groupe a pris son temps pour réfléchir à sa musique et pour lui donner un sens, ainsi qu'un certaine profondeur, de ce fait, l'album est moins facile à assimiler que ses prédécesseurs, et il faut vraiment plusieurs écoutes afin d'en saisir toute la richesse, surtout que la production est vraiment excellente, de l’atmosphère mais des riffs toujours aussi denses, de la technique aussi, notamment le jeu de batterie et la basse sur lesquels Code se repose beaucoup pour articuler sa musique et lui donner son dynamisme, de même qu'une prestation vocalement impeccable, surtout le chant clair qui donne à Augur Nox des aspects mélodramatiques et théâtraux tout à fait appréciables, c'est bien sûr différent de ce que faisait Kvohst (certains vont gueuler comme d'habitude), avec un chant black plutôt limité en comparaison, mais le choix est cohérent avec l'évolution musicale du groupe, bref, même si ce n'est plus vraiment du Black, Code continue de faire son truc et d'évoluer, en avançant, pour l'instant sur des chemins surement un peu trop balisés, mais on sent bien qu'il ne tient à rien pour que le groupe explose définitivement toute les limites et tous les codes, il faudra se contenter de l'excellence cette fois-ci, et c'est déjà pas mal...
(Tout ça est écoutable sur Bandcamp)

Black atmosphérique progressif Avant-gardiste post-Rock
Track Listing:
1. Black Rumination
2. Becoming Host
3. Ecdysis
4. Glimlight Tourist
5. DX (Interlude)
6. Garden Chancery
7. The Lazarus Cord
8. The Shrike Screw
9. RX (Interlude)
10. Trace of God
11. Harmonies in Cloud
12. White Triptych